Mercredi 23 février 2022, Marie-Chantal Zingiro et Fanny Bottemanne ont été invitées à participer à un plateau radio consacré aux discriminations.
Une émission de près de 2 heures, préparée par Anja et Quentin, bénévoles de Radio Moulins pour l’émission « Ligne ouverte », riche d’informations pratiques et d’échanges, qui a permis de mettre en lumière la complémentarité des services et des approches proposés.
Étaient également invitées les déléguées du Défenseur des Droits Déborah Facon et et Anne-Claire Grandjean pour éclairer la question d’un point de vue plus institutionnel.
Retour sur cette démarche de travail partenarial, emblématique de l’esprit du Collectif KifKif comme de son ancrage territorial…
La Maison de Quartier de Moulins et le Collectif KifKif : partenaires dans la lutte contre les discriminations depuis 2017
Connaissez-vous Radio Moulins ? Il ‘agit d’une webradio associative locale portée par la Maison de Quartier Les Moulins, centre social agréé situé au cœur du quartier Moulins à Lille. Cette association de proximité au service des habitant·es du quartier s’est dotée depuis 2017 d’une webradio permettant à des bénévoles de prendre la parole sur les sujets qui les concernent ou qui les passionnent, en étant accompagné·es par l’équipe salariée du centre social.
Pour la Maison de quartier les Moulins, les discriminations font partie des préoccupations centrales des habitant·es du quartier Moulins, c’est pourquoi le centre social souhaite s’emparer de cette question et faire de la prévention et de la lutte contre les discriminations l’une des priorités de son projet quadriennal. En 2017, déjà, un partenariat avait été noué avec le Collectif KifKif pour un cycle d’actions centré sur la collecte de témoignages des discriminations vécues par les habitant·es du quartier.
L’action s’était terminé en beauté avec une restitution théâtrale basée sur le recueil de paroles par la Compagnie La belle Histoire (théâtre d’intervention), suivie d’un débat co-animé par le Collectif KifKif. Ces premiers échanges avaient donné lieu ensuite à d’autres actions communes en 2018, notamment à travers la sensibilisation des adolescent·es de l’Espace Jeunesse de la Maison de Quartier qui avaient ensuite réalisé un court-métrage sur le thème des discriminations avec l’association Buena Vista Vidéo Club.
De nouvelles actions communes de prévention et de lutte contre les discriminations sur le territoire de Moulins sont actuellement en cours de construction et devraient voir le jour au cours de l’année 2022.
Une émission centrée sur le dialogue entre actrices associatives et institutionnelles
Dans le cadre l’émission de radio enregistrée dans les conditions du direct le 23 février dernier, la parti pris d’Anja et Quentin de Radio Moulins était de favoriser l’échange entre les actrices associatives du Collectif KifKif et la parole plus institutionnelle à travers l’invitation d’une chargée de mission et d’une déléguée du Défenseur des Droits. Pour rappel, l’article 71-1 de la Constitution établit que le rôle du Défenseur des Droits est de veiller « au respect des droits et libertés » des citoyen·es en France dans cinq domaines précis : les dysfonctionnements des services publics, la défense des droits de l’enfant, la déontologie et la sécurité des agents de sécurité, l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte, et enfin la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité (voir ici). Depuis 2 ans, cette institution déploie des pôles régionaux pour être au plus près des territoires et des personnes concernées. Invitée sur le plateau de Radio Moulins, Déborah Facon est ainsi chargée de mission au pôle régional des Hauts-de-France,. Elle est accompagnée par Anne-Claire Grandjean, maître de conférence en Droit public et déléguée du Défenseur du Droit pour le Nord à titre bénévole depuis 2013. À ce titre, elle assume notamment des permanences juridiques tous les jeudis à Roubaix, à la Maison de la Justice et du Droit, lieu dans lequel le Collectif KifKif a également eu local et des permanences hebdomadaires.
Après un rappel concernant la genèse et l’histoire du Collectif KifKif, Marie-Chantal a pu exposer les particularités de l’accompagnement proposé par le Collectif. Au-delà de la dimension juridique qui reste la spécialité des déléguées du Défenseur des Droits, le Collectif KifKif se positionne davantage sur la dimension psycho-sociale, que la discrimination ressentie ait pu être reconnue ou non par la loi.
Accorder le temps d’écoute nécessaire aux personnes concernées par les discriminations, accompagner la mise en récit des vécus discriminatoires, offrir la reconnaissance du statut de victime et proposer des actions propices à la résilience et au développement du pouvoir d’agir : voilà les spécificités du Collectif, toujours dans le respect absolu du rythme et des choix des personnes.
Après un rappel concernant le droit et la dimension publique et indépendante de l’institution qu’elle représente, Anne-Claire Grandjean rappelle les différentes situations dans lesquelles le Défenseur des droits peut être saisi, ainsi que les limites de ses pouvoirs. Déborah Facon, pour sa part, exprime le fait que le Défenseur des droits est assez peu connu et qu’il y a encore très peu de saisines concernant la question des discriminations.
Pour remédier à cela, elle rappelle le lancement national de la Plateforme anti-discrimination.fr depuis le 12 février 2021, qui permet de donner davantage de visibilité à cette cause et d’accéder plus simplement à des juristes compétent·es et à l’écoute sur la question des discriminations. Cette plateforme met également en avant les associations locales, comme le Collectif KifKif, qui proposent des accompagnements globaux et parfois spécifiques en fonction des différents critères de discrimination (par exemple le sexe, l’origine réelle ou supposée, l’orientation sexuelle, etc.).
Anne-Claire Grandjean incite les victimes à effectuer une saisine leur permettant de faire valoir leurs droits et d’éventuelles réparations, quand leur dossier le permet en termes de preuve et d’indices probants. Sans nier le « carcan juridique » et le temps long lié à la prise en considération des discriminations dans le domaine pénal, elle rappelle que dans le cas d’une action administrative de réparation du préjudice (une demande de dommages et intérêts), il existe un « inversement de la charge de la preuve » qui induit que c’est à la personne accusée de prouver qu’il n’y a pas eu de comportement discriminatoire, ce qui simplifie considérablement la procédure pour le ou la plaignant·e.
Expliquer le subtilités de la loi, présenter les différentes procédures possibles (pénale ou administrative, en contentieux ou à l’amiable…), expliciter les implications possibles pour le ou la plaignant·e de ces choix : voilà en quoi consiste en grande partie le travail de pédagogie et de conseil des juristes déléguées au Défenseur des droits.
Ce qui apparaît peu à peu en filigrane de l’émission de Radio Moulins, c’est la grande complémentarité des approches entre les associations et l’administration publique, qui peuvent entrer en synergie pour accompagner les victimes sur les différents aspects du vécu discriminatoire. Avec un souci commun : faire remonter davantage de situations, notamment concernant les jeunes, car beaucoup de discriminations restent encore tues, et donc impunies.
À ce sujet, Déborah Facon rappelle que les discriminations liées à l’origine des personnes, dans lesquelles le Collectif KifKif est spécialisé, reste l’un des premiers critères de discrimination qui remonte dans les saisines, juste devant le handicap (même si cela n’empêche pas les discriminations croisées). À ce sujet, elle nous incite à lire un Rapport produit par le Défenseur des droits en 2020 et qui, en compilant différentes études et enquêtes réalisées en France, alerte sur le poids de ces discriminations à la fois quotidiennes et systémiques et plaide pour leur meilleure prise en charge.
Lire le Rapport « Discriminations et origine : l’urgence d’agir »
Collaboration entre le Collectif KifKif et la déléguée du Défenseur des Droits via des permanence juridiques au local de Wazemmes
Bien que l’émission de Radio Moulins ait permis l’échange entre les quatre professionnel·les invitées à s’exprimer, le Collectif KifKif et les déléguées du Défenseur des droits n’en sont pas à leur première rencontre, loin s’en faut ! Si une rencontre avait eu lieu récemment dans les locaux d’Iris Formation à l’occasion de l’arrivée de la nouvelle Défenseur des Droits Claire Hédon en septembre 2021 (voir la médiatisation de la rencontre par France Bleu Nord), les structures se connaissent et se rencontrent régulièrement depuis plus de dix ans, à travers différentes actions, groupes de travail et dispositifs à l’échelle locale et régionale.
Mais le partenariat ne s’arrête pas là ! Le mardi 15 février 2022, une première permanence au eu lieu dans les locaux de Wazemmes avec la juriste Jade Lecoeuche également déléguée du Défenseur des droits.
Comme l’explique Marie-Chantal Zingiro : « Avoir accès à une déléguée dans un lieu que les personnes connaissent, dans lequel elles se sentent vraiment écoutées, un lieu sécurisé, c’est vraiment un plus pour les personnes accompagnées. […] C’est leur donner accès à un service public gratuit, auprès de personnes empathiques, et cela peut permettre de rétablir leur confiance dans les institutions. » Et Déborah Facon de renchérir : « C’est vraiment un plus pour nous aussi, car il peut arriver que l’on soit bloqués dans l’instruction, et puis ça peut parfois paraître froid et rigide le droit, et on n’a pas toujours les solutions tout de suite… Savoir qu’une association comme Iris Formation est là pour soutenir les personnes sur d’autres plans nous soulage, car on sait que cela peut aider les personnes à attendre plus sereinement. […] On est vraiment dans du gagnant-gagnant ».
Bienveillance, empathie, écoute réelle, tact et clarté des informations délivrées : le Collectif KifKif et les déléguées du Défenseur des droits sont sur la même longueur d’ondes quant à l’accueil et l’accompagnement des personnes concernées. Le message que ces partenaires souhaitant transmettre en direction des victimes via ce plateau radio est le même : « nous savons que c’est difficile, mais osez franchir le pas et venir vers nous ! »
L’émission de Radio Moulins se termine sur la prospective quant à l’évolution de la question des discriminations. Bien que des moyens et des messages forts sont lancés par l’État, bien que les mouvements sociaux, les médias et les réseaux sociaux s’emparent de plus en plus de ces questions, beaucoup reste à faire pour augmenter le nombre de saisines juridiques mais aussi la reconnaissance, régulièrement mise à mal, de la réalité des discriminations et des vécus discriminatoires dans notre pays.